L'onychophage

Cher-e-s ami-e-s,

Je veux vous informer d'un secret important, s'il en est : le secret substrat, la quintessence de l'activité humaine supérieure... car je vous aime et veux votre bien. Vous devez donc savoir qu'il n'est pas de plus délicieux, de plus savoureux plaisir que l'onychophagie. Je vous le dis, cher-e-s ami-e-s !

Je recommande à tous ce hobby. Gratuit, discret et nourrissant, compatible avec la lecture, avec la conduite d'une voiture. Moralement et socialement plus acceptable en société, incontestablement, que la masturbation ; moins fatiguant aussi que le football, ou tout autre sport. L'onychophagie saura combler l'ennui des longs dimanches solitaires, en faisant puiser en soi une raison de croire en l'utilité des secondes et en la nécessaire distance qu'il convient d'entretenir avec le suicide. Et vous aurez enfin un but raisonnable pour continuer à vivre et avec enthousiasme, en plus.

Oui ! L'onychophagie vous rendra plus humain ! Et plus heureux.

Elle pourra accompagner tous vos divertissements d'un supplément d'âme, d'un plaisir buccal si proche de la tétée... Vous replongerez en enfance, vous saurez quoi faire de votre langue, qui intéresse si peu de monde, finalement. Vous pourrez même continuer à vous abrutir d'images télévisées ou numérisées en même temps. Alors ne perdez plus une seconde... Rongez ! Vous pourrez même être quelque peu grisé, enivré, par votre propre sang. Vous vous sentirez vivant !

Philosophiquement, considérez aussi que vous pourrez tranquillement sucer et vous délecter de ce qui constitue la limite de l'humain : le bout de vos doigts, l'absence de griffe, ce qui vous sépare de l'animalité, qui distingue l'être du néant. Sucez les confins de l'homme ! Auto-cannibalisez-vous ! C'est l'avenir de l'individualisme contemporain !

Aiguisez vos limites, pour que votre être fende un peu mieux le dehors et pour que le néant, un peu plus vaste grâce à vous, vous soit reconnaissant de ce léger recul de la conscience, permis par votre nouvel hobby.

On vous dira merci ! C'est très gentil de laisser ainsi un peu plus de place pour autrui et le vide. Tout en maîtrisant vos propres limites. C'est indiscutablement important. Croyez-moi.

Dernière chose, je me permets de vous rappeler que l'onychophagie, jusqu'à preuve du contraire, n'a jamais entamé les pensées. Bien au contraire ! Car en interdisant les griffures, elle oblige à l'ingéniosité et à la douceur envers autrui.

Bien à vous.

Votre consultant en humanité.